Andy Freeberg

Chez Cleptafire, on a de la suite dans les idées… Rappelez-vous : en Novembre dernier, sous les verrières du grand palais, à l’occasion de Paris photo 2012, nous vous avions parlé de ce photographe Californien qui avait marqué les esprits avec pourtant un tout petit extrait de son travail. Aujourd’hui Andy Freeberg nous fait le grand bonheur de répondre à notre invitation. Depuis longtemps fasciné par les galeries, le monde des musées, il balade son objectif sur les négociants, les clients, les artistes, le personnel qui fait tourner la grande machine de l’art. Au cours des dernières années, Andy a travaillé sur trois projets : Sentry, Gardians et Art fare, trois séries pleines d’humour, de férocité, et bien sûr de feu… Andy Freeberg est né en 1958 à New York et vit actuellement à San Francisco.

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Né en 1958 à New york (USA)

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Sentry suivi de Art Fare

Par Aloïse Maistre

Mon premier contact avec le travail d’Andy Freeberg s’est fait avec la photographie prise à la galerie Andrea Rosen à Chelsea, un quartier huppé de New York (ci-dessous). Je n’ai pas tout de suite su qu’elle intégrait une série et j’ai été interpellée par son charme froid : dans l’office d’un blanc irréprochable perce un cadre de lumière chaude ou apparaissent dans une composition minimale le sommet d’une tête et un pot de fleur. 

On ne peut passer à côté de cette coïncidence entre l’art et la réalité : nous apercevons un tableau exposé sur cimaise. En observant les autres photographies de la série je n’ai pas retrouvé cette même évidence et je me suis donc interrogée sur l’unité de cette série en commençant par le titre « sentry » (sentinelle) : des scalps anonymes qui dépassent de ces bunkers blancs peu accueillants montent la garde de l’art contemporain. Où est Andy Freeberg ? Que veut-il nous signifier ?

Son cadrage frontal vient chercher l’humain et l’œil bute contre un repoussoir monolithe blanc, toute possibilité de rencontre avec un regard est un échec, la vie est cachée dans un angle mort . Pas d’ironie critique dans l’objectif d’Andy Freeberg, pas de « running gag »pour nous montrer le burlesque d’un regard qui cherche un regard , échoue puis recommence sans cesse. Non juste l’œil candide d’un anthropologue venu observer un milieu inconnu. Ses photographies miment le parcours d’un visiteur novice d’une galerie d’art chic,

on cherche l’Homme derrière le monochrome , mais que trouve-t-on alors ? : un accueil peu accueillant, une réceptionniste qui n’est pas là pour vous réceptionner, « parle à mes cheveux mes yeux sont malades » ,on nous intime l’ordre de faire «silence» hormis peut-être quand il s’agit de parler commerce. On devine des employés figés dans leur fonction, à l’image du lieu, austères et classes. Même la fleur (motif de décoration récurrent) à l’air d’être empotée. On se prend donc à chercher par-ci par-là les indices de vie qui se déroberaient du cadre trop blanc de l’office tyrannique, 

on fait marcher l’imagination : on a envie que ça craquelle que ça se libère que ça hurle que ça salisse. Un homme et une femme seuls et bien cachés, des fils électriques qui alimentent les employés, un colis jamais remis , un escalier par où s’évader, les jeux de lumières et d’ombres qui dansent sur les murs. Comme dans sa série « art fare » où toujours avec cette distance anthropologique il a pénétré les stands de salon d’art contemporain ou bien de galeries . Le spectacle n’est pas forcément sur les murs : on y voit les marchands d’art confondus avec leur milieu comme d’étonnants dioramas…

Les sentinelles

Par Marie Jego

Savez-vous qui règne en maître à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, l’un des plus riches musées d’art au monde ? Surtout pas son directeur, Mikhaïl Piotrovski, encore moins les 3 millions de visiteurs qui affluent chaque année pour visiter les 365 salles ouvertes au public dans l’ancien palais des tsars de Russie. Non, les vraies maîtresses du musée, ce sont ses gardiennes. Ces vigies qui, à l’Ermitage comme chez elles, arborent chaufferettes et chaussons en hiver, claquettes et châles légers en été. Le photographe Andy Freeberg en a saisi le caractère central, incontournable. A raison d’une par salle, assise sur une chaise ou faisant les cent pas, la gardienne a une haute idée de sa mission. Le sourire n’est pas son fort, sa mine est sévère, son œil sans cesse à l’affût. Le petit curieux qui s’enhardit à regarder une toile de trop près ou, pire encore, à caresser le bronze d’une sculpture se voit immédiatement rappelé à l’ordre. Les critères de bonne conduite sont aussi stricts qu’impénétrables.

Dans la salle réservée à Matisse, les touristes qui photographient les toiles au flash ne déclenchent aucune réaction de la part du cerbère des lieux. En revanche, la dame qui, discrètement, sort de son sac une petite bouteille d’eau aussitôt portée à ses lèvres, se voit gratifiée d’un : « Rangez-moi cette bouteille. Il est interdit de boire ! » Une fois amadouées, ces austères sentinelles peuvent devenir tout miel. Véritables mines de renseignements, elles vous raconteront volontiers l’histoire des oeuvres exposées dans leur salle, le siège de Leningrad (nom de Saint-Pétersbourg à l’époque de l’URSS) ou les déboires de la batterie de chats entretenus, depuis l’impératrice Elisabeth (fille de Pierre le Grand, fondateur de Saint-Pétersbourg), par le personnel du musée pour chasser la souris dans les sous-sols du palais. Une tirelire trône d’ailleurs dans le bureau du directeur.

L’une confie avoir appris le français avec sa mère, « une ancienne élève, en 1910, de Mlle Joly… de Paris ». L’autre est imbattable sur la biographie de la tsarine Maria Feodorovna, une princesse danoise qui fut la femme d’Alexandre III et la mère de Nicolas II, le dernier tsar de Russie. Installée sur son séant dans la galerie des portraits impériaux, elle est ravie de faire la causette, s’extasiant sur « la longévité et la fertilité de cette tsarine à la taille fine » qui, après avoir mis au monde six enfants, ne put goûter à sa retraite bien méritée, poussée par la révolution de 1917 à fuir vers le Danemark, où elle mourut en 1928. 

Les gardiennes ne sont pas en faction au seul Musée de l’Ermitage, elles sont partout : au Musée russe de la cité impériale, à la Galerie Tretiakov à Moscou et dans tous les musées ordinaires. La plupart d’entre elles sont des retraitées. Rares sont les jeunes femmes et rares, surtout, sont les hommes. Sans doute parce qu’en Russie, la gent masculine est laminée par la surmortalité (selon l’ONU, l’espérance de vie pour les femmes atteint 75 ans quand celle des hommes n’est qu’à 63 ans). Outre leur mission de surveillance, elles peuvent aller, si l’humeur leur en dit, jusqu’à livrer leurs goûts artistiques. 

Ainsi au Musée russe de Saint-Pétersbourg situé le long du canal Griboedov, la gardienne chargée de surveiller les toiles de Kazimir Malevitch se porte au secours d’un groupe de jeunes militaires, révoltés par la simplicité enfantine du Supremus n° 58 jaune et noir, une huile sur toile aux lignes géométriques épurées, comme il sied au suprématisme. « Moi aussi je peux dessiner un truc pareil ! », proteste un des jeunes appelés au crâne rasé. Et d’interroger la gardienne : « C’est connu ? » Ravie d’être sollicitée, elle répond : « Figurez-vous que des étrangers viennent de loin pour voir ça ! Je pense comme vous, mais il faut savoir que ces toiles ont un public. Ne me demandez pas pourquoi…

* Article paru dans Le Monde / Magazine (c) Marie Jego

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