Mark Dorf


On ne sera pas surpris d’apprendre qu’issu d’une famille de scientifiques et d’artistes de Louisville, Kentucky, Mark Dorf, 26 ans, oriente son travail à l’aune de cette double influence. Photographe tout autant que géomètre, marcheur tout autant qu’arpenteur, poète informaticien, il est ici une œuvre caractéristique de cette jeune génération de photographes, qui la première, aura grandi dans le “tout numérique”. Pour autant, et on le voit bien, ces jeunes auteurs n’ont pas cessé de s’interroger sur la nature même de leur médium, sur ce qu’intrinsèquement le terme “numérique” veut dire. Ainsi, la façon d’appréhender le monde, la “sensualité” charnelle ou mécaniques qui doivent aider -ou pas- l’homme dans sa compréhension de l’univers est la problématique que Mark Dorf développent depuis maintenant plusieurs années.

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Né en 1988 à Laconia (USA)

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La démonstration par le rêve

Par Stéphane Ruthier

“La série Axiome et simulation examine les façons scientifiques et numériques dont les humains usent pour quantifier leur environnement naturel.” La définition des deux termes donnerait à peu près la chose suivante : Un axiome (ou un postulat) désigne un point de départ sur lequel tout le monde s’accorde pour mener un argumentaire, un débat : c’est “une vérité indémontrable qui doit être admise”. La simulation, quant à elle, dans son entendement informatique désigne l’exécution d’un programme destinée à simuler et manipuler un phénomène physique réel et complexe.

Ainsi de l’axiome, il s’agit ici de la vérité objective de la nature, “une vérité en soi”, c’est un point de départ admis de tous dont la véracité est irréfutable. Tel un authentique chercheur, Mark se rend sur place, dans la nature, pour constater la réalité que lui renvoie ses sens. Puis il prend une image, une image de l’axiome ressenti comme preuve, et de retour chez lui, analyse cette preuve, “la numérise”, la quantifie, l’expérimente, la simule. 

Sur ce chemin de l’information photographique il y a “transformation” du réel à chaque filtre : sensitif d’abord, les cinq dont nous disposons, photographique donc, le capteur au fond de nos machines, puis informatique, l’ordinateur qui va traiter les données. De par ces “écluses” imposées par la modernité, Mark se confronte alors au risque de dilution de la compréhension primaire du monde.

Mais voilà, s’il avait dû s’arrêter au premier filtre de ses sens pour comprendre le réel, sens dont beaucoup diraient qu’ils font aussi défaut que le prisme déformant d’un appareillage moderne -“trop humaine” aurait dit Nietzsche – Mark réactualise l’éternel débat entre empiristes et rationalistes.

Et il se pose la question : la technologie numérique appliquée à la photographie est-elle un approfondissement de la connaissance sensible ou son antithèse ?

Le débat peu paraître étrange quand on sait que la représentation d’une réalité disposant d’au moins 4 dimensions sur la surface plane d’une feuille ou d’un écran à seulement deux dimensions déforme et nous prive de déjà bien des choses. Que l’invention de la perspective en Italie, au quattrocento, qui imite une dimension supplémentaire ne changeait déjà rien pour le dessin, et que l’invention de la photographie (qu’elle soit argentique au 19ème ou numérique au 21ème) ne remédie toujours pas à l’analyse du visible, saint-Photoshop ne transforme pas le pixel en atome, ni l’eau en vin (quoique).

Pourtant, l’histoire de la photographie est émaillée, voire longtemps dominée, par les tenants de l’objectivisme, c’est à dire ceux qui ne voient pas en quoi le réel se déformerait au passage des prismes des machines, qui ne voient pas la confiscation d’une partie du réel par la transition de l’image : qu’on lise Barthes pour s’en convaincre, qu’on lise Rouillé pour la contradiction… L’expérience sensible est-elle l’origine de toute connaissance ?

Ou comme Platon et son mythe de la caverne, faut-il recourir à la précision sur-humaine des machines -ou de la philosophie- pour mieux voir et dire le monde, pour mieux combattre les images ? L’image ment-elle ? Et si oui : l’image pourra-t-elle la dire, un jour, cette Vérité ? L’image s’améliore-t-elle ? Le dessin dépassé par la photographie, la photographie dépassée par le cinéma, le cinéma dépassé par l’imagerie 3D, l’image 3D dépassée par la résonnance magnétique, etc… Les réponses ne sont pas si évidentes…

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