CINÉMA

Dans la rubrique de Manouk Borzakian, il s’agira de cinéma. Images fixes, images mouvements, à Cleptafire nous aimons les deux, l’occasion donc d’évoquer sorties films, festivals, et autre actualité cinéphile.

On avait laissé Jarmusch, dans Only Lovers Left Alive, avec deux vampires-dandies-rockers errant la nuit dans les ruines industrielles de Detroit. Deux vieux artistes désabusés, tentant de survivre dans un monde leur échappant. Autre face de la même pièce – et sans doute de la personnalité du cinéaste –, Paterson décortique le quotidien d’un chauffeur de bus. Le bien nommé Paterson, incarné par le non moins bien nommé Adam Driver, parcourt la petite ville de Paterson, dans le New Jersey, un autre ancien bastion de l’Industrial Belt. Quel rapport avec les musiciens noctambules ? Paterson, lui aussi en décalage avec le monde qui l’entoure, s’en échappe en écrivant des poèmes. À travers ce personnage faussement banal, Jarmusch traque la poésie dans les moindres recoins de l’existence et, comme dans le reste de son cinéma, extrait la beauté du quotidien.

Du lundi au lundi, Paterson ouvre les yeux à la même heure – sans réveil – dans les bras de Laura, part au travail à pied, conduit toute la journée, et profite le soir de la promenade du chien Marvin pour boire une bière au pub du quartier. Quelques rares péripéties viennent à peine troubler cette journée réglée comme du papier à musique: une panne de bus, les scènes de ménage d’un couple amoureux habitué du pub, ou une petite fille elle aussi poétesse croisée à la sortie du travail.

Pendant que Laura repeint la maison en noir et blanc et s’invente pâtissière ou chanteuse de country, Paterson supporte en silence ce train-train pas vraiment folichon. Il tourne en rond, au sens propre, contraint par le parcours du bus – paradoxe du chauffeur, qui transporte les autres mais dont la mobilité demeure largement subie. Sans oublier Marvin : s’il ne bronche pas pendant l’escale au pub, le chien imprime par contre la cadence et l’itinéraire des promenades.

Pourtant, c’est peut-être de cette routine, hors du temps, que surgit l’inspiration. Dans ce lieu sans cesse arpenté au même rythme et suivant le même trajet, dans ce paysage urbain dont il s’imprègne jour après jour, dans les chutes de la rivière Passaic, qui firent la fortune de la ville au 19e siècle et offrent aujourd’hui un lieu de calme et de contemplation, dans le nom de l’illustre prédécesseur William Carlos Williams, auteur de l’épopée Paterson, dans les plus petits détails de sa vie sans relief, comme une boîte d’allumettes posée sur la table de la salle à manger, dans tout cela Paterson puise l’inspiration de sa poésie. Le film, tout en anaphores et répétitions, figure cette fausse monotonie, et nous dit qu’il n’est pas besoin de voyager pour s’échapper : Paterson, joli paradoxe géographique, apparaît à la fois comme lieu d’enfermement et d’inspiration. Et l’évocation finale de Dubuffet nous rappelle que l’art se niche partout et en chacun-e de nous, il suffit de regarder.

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