Shen Wei


De ses premières années passées en Chine, Shen Wei dit avoir gardé d’une éducation stricte et conservatrice un rapport confus et passablement troublé aux choses touchant à l’intime : sexualité et amour en tête. C’est en arrivant plus tard en Amérique que la confrontation avec la culture hédoniste a exacerbé ce désordre intérieur. Choc civilisationnel comme il est coutume de l’appeler, un carambolage qui est devenu le vivier photographique dans lequel aime à puiser l’artiste. Voilà pourquoi, fasciné par la façon dont les occidentaux s’arrangent de leur “identité”, il semblait naturel de faire entrer en résonnance, dans une série baptisée “Almost Naked”, les images d’un parcours semé par ses interrogations propres et la curiosité identitaire inhérente au côtoiement d’un véritable “autre”, celui d’une civilisation étrangère… Né en 1977 à Shanghai, le travail de Shen Wei, aujourd’hui New-Yorkais, fait parti de la collection permanente du MoMa et du Philadelphia Museum of Art, il a été exposé dans des lieux aussi prestigieux que le Musée d’Art Moderne de Moscou, le Musée des Beaux-Arts de St.Petersbourg, ou encore le Liu Haisu Art Musée de sa ville natale.

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Né en 1977 à Shangaï (CHINE)

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L'appeau des autres

Par Estelle Vivadier

Blanches d’ivoire ou de gypse, rosées dans les plis, légèrement et à d’autres endroits bleuies par transparence, jaunes de Naples, terres de Sienne, soyeuses, joyeuses, sèches, mates, tristes, luisantes ou lâches, galbées ou cintrées, gorgées de sang, gorgées d’absence, elles sont presque toutes là, les peaux. Et paradoxalement, ce sont elles, ces peaux, qui font l’habit. L’habit élémentaire des quelques corps qui ont prêtés leur image au photographe, ce sur quoi repose la grammaire et les conjugaisons de ses cadres. Qu’est-il à déchiffrer ? 

Des verbes. Les verbes épidermes : désirer, dormir, montrer, rêver, sentir, attendre. Des temps. Les temps corporels : futur antérieur, conditionnel présent, subjonctif imparfait. Des questions faites avec ces verbes et ces temps, des questions sensuelles, posées par une peau hétérogène, éduquée ailleurs, une peau neuve pour ce côté-là du monde, une peau qui met en image d’autres peaux.

Des corps donc, assis, des corps allongés, presque nus, découpés sur un clair-obscur, des corps recouverts des interrogations d’une peau, recouverts de l’habit d’une question, et des regards en guise d’accent, qui viennent comme le final sur l’arabesque d’un signe de ponctuation. Des regards dans le vague, parfois, ou qui souvent nous dévisagent, nous faisant tour à tour endosser le rôle d’un voyeur en retrait, celui d’un témoin discret, ou plus actif celui d’un interlocuteur direct. Dans tous les cas, ces protagonistes à l’arrêt, figés dans une tension quelque peu mélancolique, semblent nous inviter à l’introspection.

Qu’est-il ainsi à se demander ? Peut-être ceci : où en sommes-nous de nos corps, de sa nudité, de ce à quoi il sert, quel usage pour l’autre? Est-il beau, désirable, relâché, abandonné, me correspond-il, quoi montrer, quoi en dire, la question est-elle toujours aussi importante ? En somme, que faire de sa peau ? Que faire de sa nudité ?Réalisée entre 2003 et 2007, cette série qui ne présente pas des chairs véritablement offertes, ni des corps ostensiblement pudiques, non plus que des peaux qui seraient la ligne médiane entre ces deux états, s’annonce comme allant “presque” trouver le “nu” -au sens propre comme au figuré donc… 

Aussi, “presque” désarmées qu’ils seraient, ces hommes et femmes livrent quasiment tout, ils donnent “à voir” autant leur affect que leur aspect physique, à ce point qu’affleurant en surface, on peut y lire, pour qui sait déchiffrer, ces choses qui ne cessent de nous occuper toute une vie, prouvant au final que d’où qu’on vienne, quelque tannage ait subit notre cuir, ces questions là subsistent et sont toujours peu ou proue les mêmes : c’est ce que le regard savamment candide, sans préjugé, et profondément humain de Shen Wei permet bien de révéler.

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