Laurent Lafolie


Né  en  France  en  1963,  Laurent  Lafolie  travaille  la  photographie  depuis  1980.  Les  premières années de sa pratique l’ont amené à collaborer avec des metteurs en scène de théâtre puis de 1993 à 2005 avec des chorégraphes et danseurs contemporains. L’année 2005 a constitué un tournant décisif pour son travail : il y engage depuis une recherche qui aborde des thèmes portant presque exclusivement sur le sujet humain et les rapports qu’il entretient avec lui-même et ses semblables. Concrètement  le  travail  de  Laurent  Lafolie  répond  au  désir  de  faire  de  l’image  un  objet  photographique.  Cela  se  remarque  à  travers  ses  contacts  platine-palladium et  de nombreuses présentations intérieures et extérieures où les tirages photographiques sur  washi* et  autres  médiums  ont  été  le  moyen  de  développer  des  constructions  adaptées  aux  contextes spatiaux.

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Né en 1963 à Salies (FRANCE)

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Les foudroyés

Par Yann Datessen

Avant de présenter cette série et en guise d’introduction à son travail, il nous a semblé nécessaire de décrire en quelques mots quelles étaient les techniques de prise de vue et de tirage choisies par le photographe. Bien sûr, on le sait, le numérique a tout facilité, tout accéléré, tout démocratisé, pour le meilleur comme pour le pire. Pour le pire car à l’exemple de comment l’on mange, comment l’on aime, comment l’on s’informe, comment l’on regarde, certains ne prennent plus aujourd’hui le temps de mériter leur image, de les méditer, voire ne savent plus que c’est possible. Laurent est de ces photographes, artistes et artisan pour qui le (long) chemin qui mène à l’image compte autant que l’image elle-même. On l’aura compris, il appartient à la famille des argentiques… Ainsi pour approcher la figure humaine, il a utilisé une chambre grand format 20×25 cm. Outil imposant et contraignant qui, s’il offre la plus grande qualité d’image de par la taille de sa surface sensible, limite drastiquement le nombre de prise de vue et ne permet en aucune façon une mise au point automatique. 

Pour ces raisons et c’est Laurent qui le dit : “la chambre pousse à la concentration, aussi bien en ce qui me concerne que pour le modèle photographié ; comme toute contrainte, elle nous place implicitement au cœur du travail.” Ce choix de la chambre est lié au désir de l’artiste de représenter le corps à sa taille réelle. Et pour ne pas trahir ce désir de “réalisme”, la formule de tirage retenue a la réputation d’être l’une des plus exigeante : liée à l’emploi d’une solution photosensible de métaux nobles (contrairement aux plus “communs” sels argent), la technique platine-Palladium est un procédé de tirage sur papier coton mis au point en 1873 et dont l’une des particularités est d’intégrer l’image au cœur même de la fibre du papier, conférant ainsi au rendu final une “présence” incomparable. Le rendu de ces tirages, proche de ce que peut offrir une gravure, est l’un des plus précis, subtil, et sensuel de tous les procédés photographiques existants. Nous voila donc prévenu…

Parce qu’habituée au mutisme mais aussi à tout ce qui participe au combat contre la fixité, Laurent Lafolie a choisi de faire poser une catégorie bien particulière, une catégorie d’interprètes qui fascine souvent les photographes** : celle des danseurs. Il semble que ces corps et ces visages qui vont au-delà du verbe, du langage, des sonorités, ces choses ennemies de l’image, ont appris à se taire, à se taire pour mieux dire. Et à l’intérieur, parce qu’ils y ont comprimé des rythmes, condensé de la musique, distillé des sensations et des vertiges, ceux de la chair encore tiède d’action, ils savent traduire plus que quiconque le phénomène vital, son abstraction électrique, proposer l’alcool de ses mouvements, quelque chose dans la métaphysique de leur membre qui donne lieu, chez eux, à l’apparition sublimée de l’humain.

L’auteur ne s’y trompe pas : “Les danseurs savent alimenter en vie l’immobilité de la pose”. Le danseur est bel et bien le contraire d’un comédien. Le danseur n’a pas de masque, il est un volcan et les volcans n’ont pas de doutes. Le danseur est jonction des forces telluriques et apolloniennes, savant en choses du déplacement. Le danseur a appris l’impulsion, le trajet, sa sauvagerie aussi, il a appris à dompter le ciel et la terre, navigue entre ces deux flux. Démiurge du mouvement il l’est, c’est certain, parce qu’il sait le ralentir, jusqu’à l’extrême, presque à l’arrêter mais sans jamais vraiment le faire -ce serait un parjure- et pour le photographe c’est une chance, un paradoxe de l’image fixe…

Dans les portraits de Laurent, quelque chose passe. Un flux, un arc électrique, une stupeur, un tremblement. Le laissant encore libre de sa charge d’avant et déjà informé du virage d’après, l’on y devine un mouvement qui a été presque arrêté, mais par le sujet et non par le temps de pose, ce qui change radicalement le rapport du photographique et de son modèle. Ce mouvement semble effectué un trajet : du monde bruissant vers l’en-dedans secret, de l’extérieur vers l’intérieur -ou inversement. Ce mouvement reste là à brûler comme la foudre celui que nous regardons; il y a dans ces images noires et blanches une somme invisible de décharges contrôlées, magie du danseur, du temps, comme de l’image. Poupées russes à l’intérieur desquelles se retracent le chemin d’une fulgurance, il y a superposition d’un même choc, nous regardons une vibration, nous regardons un foudroyé.

D’un point de vu formel, ces portraits superbement dépouillés s’évertuent à l’alternance et au souci minutieux d’un rythme… Mesure à deux temps, un temps fort et un temps faible, une noire pour une blanche, ces images aux mêmes teintes sont en recherche de déséquilibres, à l’observation d’un tempo aux forces contraires, ces sempiternelles contraintes du danseur. S’y succèdent et s’y chevauchent des zones de floue délicat, des pans de netteté, comme pour le danseur qui jongle entre la fluidité et la précision, entre l’éther et la matière brute de sa chair, le ciel et la terre, l’impromptu et la maîtrise, le déséquilibre qui va être sculpté. Comme des fenêtres de tir, des portes d’entrée pour l’intérieur de la peau et pour y retrouver, peut-être, l’empreinte des électricités qui habitent ces corps, le jeu si particulier des flous et des piqués confère à l’image les qualités -et les défauts- optiques de l’œil humain. 

Cette idée plastique fut partagée chez certains pictorialistes pour qui les floues périphériques associés à la netteté centrale d’une image servaient à imiter le phénomène rétinien et à insuffler une sensation de naturelle, et ce loin de la radicalité du tout netteté des machines. C’est ce qui donne et appuie cette “présence” du tirage palladium, ce sentiment que l’on a de s’enfoncer dans l’image, dans la fibre du papier. Présence, existence, contrastes formels, contrastes d’émotions, contrastes métaphysiques, le tout mis en âme par une électricité indéfinissable que seuls des danseurs pouvaient aider à mettre en image, un réseaux de réflexions iconographiques qui rencontre la spontanéité savante de muscles éduqués, une maîtrise technique au service de l’idée et non l’inverse, font des portraits de Laurent Lafolie d’authentique et purs objets de vie.

ɔ.sti.'na.tɔ

Extraits de l’interview réalisée par l’excellent site GALERIE PHOTO. Pour l’intégralité du texte c’est : ICI

“L’ostinato est un procédé de composition musicale consistant à répéter obstinément une formule rythmique, mélodique ou harmonique accompagnant de manière immuable les différents éléments thématiques durant tout le morceau. Le titre vient du livre écrit par Louis-René des Forêts, titre que j’ai repris en écriture phonétique – /ɔ.sti.’na.tɔ/ – car cela faisait visuellement écho à ce que devenait la présentation.”

“Réalisé avec une Sinar F2 puis avec un Mamiya RZ67 afin de gagner en souplesse. Les tirages sont réalisés sur verre. Jʼai choisi ce médium pour ses qualités de transparence et sa précision dʼécriture. Cette méthode dʼimpression aux encres ultraviolettes est utilisée en architecture notamment lors de lʼhabillage en verre de bâtiments. Jʼai travaillé ces dernières années avec le visage les notions de disparition, d’invisibilité, de transparence et ce jusque dans la matérialité du tirage. C’est ainsi par son déplacement et grâce aux jeux de la superposition, du cumul, du report et de lʼinversion des images que le lecteur peut réinventer les images.”

Notes :

*Papier Japonais

**A partir de l’immense chorégraphe Isadora Duncan, des grands photographes du début du XXè siècle comme Rudolf Koppitz, Frantisek Drtikol ont ouvert la brèche; plus près de nous, le travail de Denis Darzacq est à voir…

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