Michel Le Belhomme

Si les images de Michel Le Belhomme nous troublent à ce point, c’est peut-être parce qu’elles sont habitées par les spectres d’un retour à la sauvagerie et au dénuement. Un toit pour se protéger est l’aspiration de l’homme depuis qu’il est homme. La perte, la disparition, l’écroulement de l’abri sont, de toutes les menaces, parmi les pires sources de cauchemars. Mais ces constructions confuses et ces espaces saturés sont peuplés d’autres fantasmes encore : ce qui est irruption du désordre dans l’espace intime, ce qui enferme et isole, ce qui aliène et rend fou, camisole et espace clos du délire. Une image forte parle à côté de ce qu’elle décrit, et sait préserver tout l’espace des paradoxes, des tensions contraires et contradictoires : ici le manque et le trop plein, la perte et la profusion, ce qui habite l’humain d’intranquillité jusque dans ses derniers retranchements.*

  • Bio 

Né en 1973 à Rennes (FRANCE)

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muthos@hotmail.fr

Refuges et traumas

Par Aloïse Maistre

Le travail de Michel Le Belhomme est un travail singulier. Il dérange notre regard et nos espaces : les frontières entre extérieur et intérieur sont bouleversées. Ma première impression a été de me sentir comme face à un décor de théâtre. Puis à y regarder de plus près je me suis demandé: de quel drame ? de quel drame intérieur ? En effet les photographies de Belhomme ne nous montrent pas un espace où l’homme habiterait mais un espace qui habiterait l’homme et cet espace est (semble) traumatique. Nous arrivons après le drame dans un lieu mental fragilisé et accidenté. Il est souvent question chez lui d’enfermement. Les murs sont comme les parois d’un esprit dérangé duquel nous serions prisonniers. Les fenêtres sont condamnées de scotch épais et sombre, fondues dans la cloison au-dessus d’un radiateur et les ouvertures sont condamnées à être des esquisses de fil sur des murs blancs. Quand la vue est extérieure, nous apercevons une maison noire et clôturée inscrite dans un fond d’obscurité : il n’y a pas d’horizon, nos yeux étouffent.

L’ironie de Belhomme est là quand il s’agit de tapisser les murs d’images de grands espaces montagneux, comme le papier peint d’une ile paradisiaque sur le mur d’une salle d’attente du médecin, on ne peut se prendre au jeu de rêver l’ailleurs tellement l’illusion est dérisoire et ne fait qu’accentuer l’impossibilité que nous avons d’en sortir. La nature parlons- en, si elle existe elle obstrue une ouverture en y pénétrant de toutes ses branches ou si elle existe c’est une nature morte, une cabane de chasseur avec feuillages et faisans, explosée sur un lit blanc, comme les restes d’un cauchemar qui au réveil collent à la peau. Ces lieux intérieurs ont les empreintes de la destruction : cassés, fissurés, explosés, brulés. Comment réparer cet univers blessé? Belhomme répond en photographiant des cabanes construites avec ce qu’il y a sous la main. Des refuges hérités du monde de l’enfance comme replis nécessaires pour s’imaginer survivant d ‘un monde extérieur hostile? un espace de solitude qui resterait inviolé par le trauma? Autant de réponses qui laissent rêveur…

Les espaces voyous

Par Christian Gattinoni

Tout se joue au plus près des objets, l’espace n’existe qu’obstrué, saturé. Le carré de l’image renforce ce jeu de plénitude, le photographe bourre son cadre comme un all over d’ombre et de lumière. Il y loge toutes sortes d’installations précaires. Dans les pratiques récentes ce lent protocole sculptural qui fait tableau a une histoire depuis les sculptures involontaires de Brassaï, en passant par les ready made à l’échelle et point de vue rectifiés par Patrick Tosani. Sans compter les variantes anamorphiques pour couples bricoleurs Loriot et Mélia ou Sue Webster et Tim Noble.

Du premier Michel Le Belhomme a retenu l’utilisation des matériaux sans qualité, leur pouvoir de transformation. Du second il travaille la singularité des objets et leur métamorphose dans un jeu de proximité, perturbé par distance et variation d’échelle. Des derniers il a retenu l’importance du point focal d’où tout se fige et se remet autrement en place.

Michel Le Belhomme a suivi l’enseignement de Tom Drahos à l’Ecole des Beaux Arts de Rennes. Il en a tiré toutes les conséquences techniques de maîtrise et manipulation des paramètres propres à la photographie. Un certain humour tragique en sus.S’il a aussi retenu toutes les leçons du coloriste il n’en garde pas la gamme aussi étincelante que flashy. Les couleurs ici sont sourdes, elles travaillent en camaïeux de beige et de gris. Elles se réchauffent à l’occasion de quelques flammes de petites mises à feu expérimentales. Ces gammes subtiles se développent dans la pénombre complice d’un micro-laboratoire pour des essais improbables. Oui ce sont là couleurs de nuit ou d’observations visuelles moins liées au rêve qu’à de petits cauchemars pour apprentis claustrophobes.Il en résulte moins angoisse que jouissance d’une perversion des codes régissant les espaces intimes.

« Malheureusement l’espace est resté voyou et il est difficile d’énumérer ce qu’il engendre. Il est discontinu comme on est escroc » ce que Georges Bataille évoquait dans Le dictionnaire critique en 1970 le photographe s’attelle à le réparer dans une perspective très actuelle. En réaction à la froideur grand format des frontalités de l’Ecole de Dusseldorf on a dû subir ces dernières années tout l’ennui domestique de l’école du banal. Ce travail aujourd’hui vient nous venger de ces kilomètres de seconde à rechercher la mort exacte d’une médiocrité exaltée. Chaque image nous propose a contrario une aventure marquée du sceau d’un quotidien exalté.Certaines sont frappées d’une fatalité de mémoire, d’autres respirent le regain d’ énergie d’une matière qui se venge des petites constructions humaines. D’autres encore suintent leur parfum de catastrophe à l’échelle des sous-continents, vestiges de nos demeures. Toutes transpirent un baroque précieux de l’entropie des architectures intérieures. Produisant des images singulières qui auraient retenu les leçons des aphorismes d’Henri Michaux, Michel Le Belhomme rectifie dans son viseur ses sculptures d’une haute économie de moyens. Presque rien domestique et je ne sais quoi travaillé main développent une philosophie visuelle de la précarité faite œuvre.

Texte (c) Christian Maccotta, directeur artistique des Boutographies

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